Les Viaducs Jumeaux de Loulla : Le Spectacle Architectural du Petit Train de La Mure
Histoire et technique d’un ouvrage d’art emblématique du Chemin de fer de La Mure, trait d’union entre La Motte-d’Aveillans et le « Grand Balcon »
Au cœur du plateau matheysin, le viaduc de Loulla n’est pas qu’un simple pont. Construit à la fin du XIXe siècle pour le chemin de fer de La Mure, cet ouvrage d’art monumental est le témoin silencieux de l’épopée industrielle du charbon dauphinois, du génie technique de ses bâtisseurs et de la vie de toute une région. Aujourd’hui au service du petit train de La Mure son histoire mérite d’être contée.
Informations pratiques
Catégorie | Description |
Nom de l’Ouvrage | Viaduc de la Loulla |
Type d’Ouvrage | Viaduc en maçonnerie à arches |
Ligne Ferroviaire | Ligne du « Petit Train de La Mure » (section actuellement exploitée) |
Localisation | • Commune : La Motte d’Aveillans• Obstacle franchi : Ravin de la Loulla
• Territoire : Plateau Matheysin, Isère |
Conception et Construction | • Ingénieur / Constructeur : Inconnus• Année de construction : circa 1886 |
Caractéristiques Techniques | • Structure : Entièrement en maçonnerie, composé de plusieurs arches en plein cintre.• Longueur : 126 mètres
• Hauteur maximale : 22 mètres • Voie : Voie unique métrique (1000 mm) |
Fonction Actuelle | Depuis la réouverture du Petit Train de La Mure en 2021, le viaduc est à nouveau un point central et un ouvrage d’art majeur du parcours touristique. Il est emprunté quotidiennement par le train. |
État Actuel | Entièrement en service et opérationnel. L’ouvrage a été inspecté, et si nécessaire, consolidé lors des travaux de réhabilitation de la ligne avant sa réouverture. Il fait aujourd’hui partie intégrante du trajet du nouveau Petit Train de La Mure. |
Intérêt Patrimonial | C’est le symbole de la renaissance du Petit Train de La Mure. Cet ouvrage d’art historique, témoin de l’ère minière, n’est pas un simple vestige mais un élément vivant et fonctionnel du patrimoine local. Il fait le lien direct entre l’épopée industrielle du XIXe siècle et l’attraction touristique du XXIe siècle. |
Un viaduc pour le charbon
Au cœur de la seconde moitié du XIXe siècle, les riches gisements d’anthracite du plateau matheysin constituaient une promesse de prospérité, mais posaient un défi logistique majeur. Avant le train, la descente du charbon reposait sur de lents et coûteux convois de charretiers, dont la capacité était bien trop faible pour satisfaire l’appétit énergétique des usines en plein essor de la vallée de Grenoble. Il devenait impératif de trouver une solution moderne et à grande échelle.
C’est pour répondre à cette nécessité que fut décidée la construction du chemin de fer de La Mure. Pour épouser au mieux un relief tourmenté et permettre des courbes serrées, le choix technique se porta sur la voie métrique. La vocation de cette ligne était claire et unique : devenir une véritable artère industrielle pour descendre massivement le charbon depuis les mines jusqu’à la gare de Saint-Georges-de-Commiers. Là, dans un ballet incessant, le précieux combustible était transbordé des wagons à voie métrique vers les wagons à voie normale du puissant réseau du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), qui assurait ensuite son expédition. Une fois transbordé à Saint-Georges-de-Commiers sur le réseau du PLM, l’anthracite de La Mure alimentait aussi bien le chauffage domestique et collectif de l’agglomération grenobloise que les chaudières des nombreuses industries de la région, notamment les papeteries de la vallée de la Romanche.
Ce projet s’inscrit parfaitement dans l’esprit de son époque, encouragé par le plan Freycinet de 1879, ce programme ambitieux de l’État visant à désenclaver les territoires ruraux et industriels. La ligne de La Mure n’était donc pas une simple voie ferrée d’intérêt local ; elle était l’artère vitale qui allait alimenter le moteur de l’industrie dauphinoise.
Une fois mise en service, la ligne tint toutes ses promesses, mais son succès même la confronta rapidement à ses propres limites techniques. Initialement, c’est la traction à vapeur qui est mise en œuvre. Cependant, la production minière explose et les tonnages à évacuer dépassent les capacités des machines : la puissance des locomotives était insuffisante pour tracter des rames toujours plus lourdes. Face à cette impasse, les ingénieurs prirent une décision d’une audace inouïe : dès 1903, le chemin de fer de La Mure devint l’une des toutes premières lignes au monde à être électrifiée en courant continu à haute tension. Cette conversion n’était pas un gadget, mais une nécessité économique et technique qui fit de la ligne un laboratoire mondial de la traction électrique en montagne.
lan schématique de l’ancienne ligne ferroviaire minière du SGLM, montrant le tracé et les gares principales entre La Mure et Saint-Georges-de-Commiers.
Un défi technique et humain : la construction du viaduc
La réalisation d’un chemin de fer en moyenne montagne exigeait une expertise technique de premier ordre. La conception des ouvrages d’art de la ligne de La Mure, dont le viaduc de la Loulla est l’un des fleurons, est attribuée à Monsieur Rivoire-Vicat, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées. Cet ingénieur des Ponts et Chaussées a dû faire preuve d’une ingéniosité remarquable pour adapter le tracé à une topographie hostile, faite de ravins profonds et de reliefs escarpés.
À une époque où le métal, popularisé par des ingénieurs comme Gustave Eiffel, triomphe dans l’architecture ferroviaire, le choix de la maçonnerie traditionnelle pour le viaduc de la Loulla peut surprendre. Cette décision s’explique avant tout par des considérations pragmatiques : le coût et la disponibilité des matériaux. Le plateau matheysin regorgeait de pierre de qualité, notamment des moellons et de la pierre de taille, dont l’extraction et le transport sur de courtes distances étaient bien plus économiques que l’acheminement de poutrelles métalliques depuis les lointains centres sidérurgiques. Le viaduc est ainsi un pur produit de son terroir.
Le chantier de la ligne, qui s’est étendu de 1873 à 1878, a été une véritable épreuve de force. Pour ériger les arches monumentales du viaduc, les bâtisseurs ont eu recours à des techniques éprouvées : d’immenses échafaudages en bois s’élevaient depuis le fond du ravin, soutenant les cintres, ces charpentes courbes sur lesquelles les maçons posaient méticuleusement les pierres jusqu’au clavage de la voûte. Les ouvriers ont dû composer avec les défis d’un relief accidenté et d’une météo de montagne souvent capricieuse, rendant chaque étape de la construction périlleuse.
Enfin, le viaduc de la Loulla ne doit pas être perçu comme une œuvre isolée, mais comme la pièce maîtresse d’un chapelet d’ouvrages d’art exceptionnels. Il dialogue avec les autres géants de la ligne, comme le viaduc de Vaulx, et complète une succession de tunnels audacieux creusés à même la roche. Cet ensemble cohérent témoigne de la vision globale de ses concepteurs et de l’habileté des milliers d’ouvriers qui ont façonné, pierre par pierre, ce chemin de fer de montagne légendaire.
Cliché d’époque révélant l’impact de l’ère industrielle : le viaduc de Loulla dominant une vallée entièrement déboisée par l’activité minière et ferroviaire.
Les bâtisseurs : des héros anonymes
Derrière la prouesse technique et les plans des ingénieurs, il y a les hommes. La construction des ouvrages d’art de la ligne de La Mure fut une épopée humaine qui mobilisa, pendant plusieurs années, des centaines d’ouvriers. Cette main-d’œuvre était un mélange de paysans locaux, qui trouvaient là un complément de revenu, et de migrants spécialisés. Parmi eux, de nombreux ouvriers italiens, réputés pour leur savoir-faire dans les travaux de maçonnerie, ont joué un rôle crucial.
Leur quotidien se déroulait dans des conditions de travail particulièrement difficiles en montagne. Sur des échafaudages vertigineux, exposés aux vents et aux rigueurs du climat alpin, ces hommes travaillaient sans les équipements de sécurité modernes. Chaque pierre posée était le fruit d’un effort physique intense et d’un risque permanent. Le viaduc de la Loulla est ainsi un monument érigé à la sueur et au courage de ces héros anonymes, dont le travail acharné a littéralement façonné le paysage.
Un siècle de prospérité : l’impact du train
Dès sa mise en service en 1888, le train a radicalement transformé la vie sur le plateau matheysin. Ce n’était
Née officiellement en 1888 après une déclaration d’intérêt public en 1881, la ligne de chemin de fer St Georges de Commier – La Mure (SGLM) a radicalement transformé la vie sur le plateau matheysin. Conçue avant tout pour le transport du charbon extrait des mines locales, elle fut le moteur de la fortune de la région pendant près d’un siècle.
Pour les mines, ce fut une révolution : le tonnage annuel transporté témoigne de cette montée en puissance, passant de 250 000 tonnes en 1901 à un pic de 791 000 tonnes en 1966. En permettant d’évacuer des quantités de houille jusqu’alors impensables, le chemin de fer a assuré la prospérité des Houillères du Dauphiné et l’emploi de milliers de personnes. Ce n’était pas seulement une ligne industrielle, c’était une artère vitale qui mettait fin à des siècles d’isolement.
Cliché historique en noir et blanc du viaduc de Loulla. En contrebas, on distingue la mine des Bethoux, dont le charbon était évacué par la ligne ferroviaire.
Du charbon au tourisme : la seconde vie du viaduc
L’âge d’or du charbon prit fin avec la fermeture progressive des mines. Le sifflet du dernier train de houille en 1988 aurait pu sonner le glas pour la ligne et ses ouvrages d’art, condamnés à l’abandon. Mais c’était sans compter sur l’attachement des habitants et la reconnaissance de sa valeur patrimoniale et touristique exceptionnelle.
Une nouvelle histoire a alors commencé. Le « train noir » des mineurs a laissé place au « petit train rouge » des touristes. La ligne a été sauvée de l’oubli pour devenir l’un des plus beaux chemins de fer touristiques d’Europe. Aujourd’hui, le viaduc de la Loulla ne voit plus passer de lourds convois de charbon, mais des rames de voyageurs venus admirer des paysages à couper le souffle. Il est devenu le symbole d’une reconversion réussie, un pont majestueux jeté non plus seulement entre deux rives, mais entre le passé industriel et l’avenir touristique de la Matheysine.
À l’époque de son exploitation touristique, le train de La Mure offrait des vues imprenables à ses passagers, comme ici lors de la traversée du viaduc de Loulla.
Une signature architecturale : le double viaduc
Ce qui frappe le voyageur ou l’observateur attentif, c’est que le viaduc de la Loulla n’est pas un, mais bien deux ouvrages d’art distincts. Face à la nécessité de faire pivoter la voie ferrée pour l’inscrire dans le relief, les ingénieurs ont imaginé une solution d’une grande élégance.
Plutôt qu’un seul ouvrage massif et rectiligne, ils ont conçu deux viaducs distincts pour permettre à la voie de s’inscrire dans une courbe tout en franchissant le ravin. Cette configuration en « S » permettait au train de négocier le virage en douceur, une contrainte technique essentielle pour la sécurité et le confort. Les deux ponts, bien que très proches et partageant une pile commune, sont donc deux structures à part entière, créant une perspective visuelle saisissante pour les voyageurs.
Cette solution, dictée par la contrainte topographique, est devenue une véritable signature esthétique. Pour les passagers du train, la traversée offre un spectacle cinématique unique : en s’engageant dans la courbe, le convoi semble s’enrouler sur lui-même, dévoilant des perspectives sans cesse renouvelées sur le ravin et sur l’ouvrage lui-même. C’est un parfait exemple de l’élégance fonctionnelle où la nécessité technique donne naissance à la beauté.
Un Moment Fort du Voyage sur le Petit Train de La Mure
Après des années de fermeture suite à un éboulement, le Petit Train de La Mure a repris vie sur un parcours spectaculaire allant de La Mure au Grand Balcon de Monteynard. Et la traversée des Viaducs de Loulla en est l’un des points d’orgue.
Imaginez la scène : le train ralentit à l’approche du ravin, s’engage sur le premier viaduc tandis que, par la fenêtre, vous longez son jumeau à quelques mètres seulement. Le temps d’un instant, vous êtes suspendu entre ces deux géants de pierre, avec le vide sous vos pieds et un panorama grandiose sur la nature environnante. C’est un moment de pur émerveillement et une occasion unique de prendre des photos exceptionnelles.
Symbole de la reconversion touristique de la ligne, la motrice T9 tracte ici une rame de voyageurs au-dessus du vide, sur l’impressionnant viaduc de Loulla.
Conclusion : Un Patrimoine Vivant à Découvrir
Loin d’être silencieux, le viaduc de la Loulla vibre aujourd’hui au passage du Petit Train de La Mure. Plus qu’un vestige de l’ère industrielle, il est un patrimoine bien vivant, un témoin de pierre qui raconte un siècle de labeur. Au-delà de sa fonction ferroviaire, il est perçu par les habitants comme un véritable marqueur du paysage et un symbole du passé industriel et de l’identité de la Matheysine. Trait d’union entre le passé minier et l’avenir touristique, sa traversée est un hommage aux générations qui l’ont bâti et un spectacle offert à celles qui viennent découvrir son histoire.
Foire Aux Questions (FAQ) sur les Viaducs de Loulla
1. Qu’est-ce que le viaduc de Loulla ?
Le viaduc de Loulla est un ouvrage d’art ferroviaire historique situé sur la ligne du Petit Train de La Mure, dans le département de l’Isère. Sa particularité est d’être composé de deux ponts parallèles, qualifiés de « viaducs jumeaux ».[1]
2. Où se situe-t-il exactement ?
Le viaduc se trouve sur le territoire de la commune de La Motte-d’Aveillans, sur le plateau Matheysin.
3. Pourquoi a-t-on construit deux viaducs côte à côte ?
Cette configuration rare a été choisie par les ingénieurs pour permettre à la voie ferrée de franchir le ravin de Loulla tout en négociant une courbe en « S », assurant ainsi un virage en douceur pour le train.
4. Quelle est l’histoire de cette ligne de chemin de fer ?
Inaugurée en 1888, la ligne du SGLM (Saint-Georges-de-Commiers à La Mure) avait pour mission principale de transporter l’anthracite extrait des mines de La Mure vers Grenoble. Véritable poumon industriel de la région, elle fut l’une des premières lignes au monde à être entièrement électrifiée dès 1903.
5. Quelles sont les dimensions du viaduc ?
Le viaduc de Loulla mesure 126 mètres de long pour une hauteur maximale de 22 mètres. Il est entièrement construit en maçonnerie de pierres de taille avec des arches en plein cintre.
6. Peut-on encore traverser le viaduc aujourd’hui ?
Oui, absolument. Après des années de fermeture, le Petit Train de La Mure a repris du service sur un nouveau parcours touristique. La traversée des viaducs jumeaux de Loulla est l’un des moments forts et des plus spectaculaires du voyage.
7. Quelle est l‘importance de cet ouvrage aujourd’hui ?
Au-delà de sa fonction ferroviaire, le viaduc est un symbole du patrimoine industriel et de la renaissance touristique de la région. Il constitue un lien entre l’épopée minière du XIXe siècle et l’attraction touristique du XXIe siècle, offrant aux voyageurs une expérience mémorable et une vue saisissante.
Pour allez plus loin
« Bien que moins célèbre que son voisin de la Roizonne, le viaduc de Loulla est une pièce essentielle du patrimoine ferroviaire de la Matheysine. »
« Il permet au Petit Train de La Mure de franchir le ravin de Loulla, offrant aux voyageurs une vue plongeante impressionnante. »
« Avec ses arches en plein cintre plus classiques, il présente un style différent de son célèbre voisin, le viaduc de la Roizonne, qui est entièrement maçonné. »
Sources et sites officiels
« Le viaduc est situé sur le territoire de la commune de La Motte-d’Aveillans, un village au riche passé minier. »
« Pour les passionnés de génie civil, ses caractéristiques techniques sont répertoriées sur la base de données d’ingénierie Structurae.«
« Le traverser est l’un des moments forts du voyage. Pour planifier votre excursion, consultez le site officiel du Petit Train de La Mure. »
« Ce viaduc est l’un des nombreux ouvrages construits pour l’histoire complète de la ligne, qui a dû s’adapter à un relief particulièrement difficile. »
Bibliographie
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GIRAUD, Jean-Pierre, Le chemin de fer de La Mure : Saint-Georges-de-Commiers – La Mure – Corps – Gap, Les Éditions du Cabri, 2015.
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Commentaire : C’est sans doute l’ouvrage le plus complet et le plus récent sur la ligne. Il est considéré comme la « bible » du sujet. Il contient une iconographie très riche, des plans de voies, des détails sur le matériel roulant et l’exploitation. La section sur les embranchements miniers devrait vous être extrêmement précieuse.
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BANAUDO, José, Le petit train de La Mure, Les Éditions du Cabri, 1993.
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Commentaire : Un classique, plus ancien mais toujours d’une grande fiabilité. José Banaudo est une référence en matière de chemins de fer secondaires français. L’ouvrage est très bien documenté sur l’histoire de la construction et de la vie de la ligne.
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REYNAUD, Jean-Louis, Le Chemin de Fer de la Mure, Presses & Editions Ferroviaires, 2005.
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Commentaire : Un autre ouvrage de qualité, souvent avec une approche un peu différente, qui peut compléter les informations des deux précédents. La comparaison des sources est toujours une bonne pratique.
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