Les trois pucelles

Patrimoine naturel

Une légende est, à l’origine, un récit mis par écrit pour être lu publiquement : généralement il s’agit d’une hagiographie lue dans les monastères, pendant les repas ; dans les églises, pour l’édification des fidèles lors de la fête d’un saint. Au xvie siècle s’opère un glissement de sens, la légende devenant un récit à caractère merveilleux où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique. Cette évolution « résulte de la nécessité devant laquelle se sont trouvés les hagiographes de fournir la matière destinée à alimenter le culte de saints personnages dont ils ignoraient à peu près tout ». Dans ce genre de littérature, la précision historique passe ainsi au second plan par rapport à l’intention spirituelle

Elle domine Grenoble de leur stature imposante majestueuse à jamais figé dans le roc.
Qui ?
Mais les trois pucelles.
Ecoutons donc Paul Berret nous relater à sa manière l’histoire de ces augustes pierres :

« Toutes quatre étaient les filles du Sire de Naves, suzerain du plateau de Saint-Nizier et de tout le versant du Vercors qui regarde Grenoble.
Quand on est, comme était le Sire de Naves, un seigneur puissant, campé dans un château-fort inaccessible et habitué à voir plier toutes les volontés devant la sienne, on croit difficilement à la défaite et à l’invasion. Cependant un jour arriva où, avec leurs turbans ornés d’escarboucles, leurs casques damasquinés et leurs cimeterres à poignées d’or, les chefs arabes éperonnèrent leurs chevaux noirs jusque dans la vallée du Grésivaudan.
Je ne sais si la réputation de vaillance du Sire de Naves les intimida, mais l’on conte qu’ils tentèrent d’entrer en pourparlers avec lui et lui firent des offres magnifiques pour obtenir son aide : le Sire de Naves renvoya dédaigneusement les émissaires.
Les musulmans, offensés, jurèrent de se venger. Dans une escalade furieuse, ils montèrent jusqu’au château-fort ; ils envahirent les fossés, brisèrent la herse fermée et se croyaient déjà maîtres de la place quand le pont-levis s’abaissa : le sire de Naves, à la tête de ses valets, fit une si vigoureuse sortie que les assaillants taillés en pièces reculèrent en débandade.
Cependant, profitant du pont-levis abaissé, quelques-uns avaient osé pénétrer dans le château, s’étaient emparés des quatre filles du sieur de Naves et, à la faveur du tumulte et du désordre de la bataille, s’étaient enfuis avec leur proie.
L’émir tenait sa vengeance.
La colère et le désespoir du Sire de Naves ne connurent point de bornes : il restait impuissant et prisonnier dans son château cerné. Les païens étaient maîtres de Grenoble, de la plaine et de la montagne.
Or voici qu’un matin retentit dans la vallée le son du cor de Roland et qu’on vit s’avancer les bannières déployées de ses hommes d’armes. Devant Roland les païens épouvantés s’éparpillèrent et disparurent comme un nuage de sauterelles en Tripolitaine.
Le sire de Naves alla se jeter au pied du neveu de Charlemagne et lui conta l’abominable rapt.
« Bien, dit Roland ; vive Dieu ! les mécréants le paieront cher ».
Puis, tirant Durandal au clair et donnant de l’éperon à sa jument Babiéca, il se lança à la poursuite des Sarrazins…
Il ramena les quatre pucelles ; les trois aînées chevauchant à ses côtés sur des haquenées blanches, et l’autre, frêle enfant de seize ans, devant lui, sur sa selle.
Et il advint que toutes quatre aimèrent d’un inexorable amour Roland leur sauveur.
Celle que Roland avait ramenée sur Babiéca se crut aimée et en fit l’aveu à son père, et le Sire de Naves l’offrit pour épouse à Roland.
« A Dieu ne plaise, répondit le preux, qu’il soit dit en France que j’ai trahi l’amour de ma mie, la belle Aude ! »
… Et piquant des deux, Roland disparut le lond des rives d’Isère où l’on n’entendit plus que dans le lointain et pour une dernière fois, le son du cor qui se mourait comme une plainte d’adieu.
… Et les quatre pucelles pleurèrent des larmes intarissables ; elles pleurèrent des jours, des nuits, des semaines, des mois, des années ; elles languirent, elles dépérirent et quelques jours après la mort du Sire de Naves, on ne les retrouva plus.
Mais, sous la clarté lunaire, dans la nuit sombre on aperçut se dresser, sur la montagne, au-dessus du plateau de Saint-Nizier, trois formes voilées, trois fantômes de pierre, trois mortes d’amour qui prisonnières dans le roc pleurent éternellement sous le firmament le secret de leur martyre, cependant que cachées par elles, la plus jeune se dérobe aux yeux dans son intime et discrète désespérance.
Songez qu’elle fut, cette ardente et timide adolescente, prise dans les bras de Roland, qu’elle fut emportée sur sa selle, et qu’elle entendit près du sien, battre le cœur du chevalier. Son cœur virginal s’était ouvert à l’amour ingénument et dans un immense espoir de bonheur.
Peut-être entra-t-il dans l’âme de ses sœurs beaucoup d’orgueil blessé par l’ambition déçue. Celle-là du moins garde pieusement un souvenir sacré et c’est la raison pour laquelle elle se dérobe aux yeux, afin de mieux rêver, dans sa pudeur de vierge, à la douceur d’un geste qu’elle prit pour une caresse d’amour. »

(Sous le signe des Dauphins, contes et légendes du Dauphiné, Paul Berret, Editions des régionalismes, 2008-2010. (Réédition d’un recueil initialement paru en 1937))

Informations pratiques

Fiche technique
Les trois pucelles
Village :Saint Nizier du Moucherotte
Nom du lieu :
Accessible : Oui
Commentaires :
Coordonnées lat : 45.170995
Coordonnées lon : 5.634785

Galerie photos

Accessibilité
handicap

Plan de situation

Waypoints